jeudi 27 octobre 2011

Crise morale, crise de cohérence sociale

Durkheim, Auguste Comte et le CAC 40: réflexions et questions sans réponse

Durkheim dans De la Division du Travail Social met en avant le corporatisme comme système de cohésion sociale de la société dont il est le contemporain. La proximité géographique était au cœur de l’ancien modèle de cohésion, mais avec le progrès technique et le « raccourcissement » des distances, ce facteur d’identité a perdu de sa prégnance chez les individus plus dispersés. Selon lui, la société de son époque est structurée par « métiers ». Le « métier » serait alors le repère principal auquel l’individu se rattache, ce qui génère le plus d’identité sociale.  Je crois en la validité de cette analyse et je dirais qu’elle reste pertinente du XIXe jusqu’à la fin des années 1970. Pendant cette période, le « métier » est perçu comme les individus comme l’élément prédominant de leur identité sociale. Son « métier » donnait à l’individu aussi bien une identité individuelle qu’une identité collective, le sentiment d’appartenance à un groupe. Il permettait de se repérer et faisait le lien entre l’individu simple isolé et la société complexe unifiée. Il créait un niveau intermédiaire entre la société dans son ensemble et l’individu dans son activité personnelle limitée dans laquelle il est parfois difficile de discerner le lien social. Ainsi l’électricien était fier d’être électricien, possédait un savoir et un savoir-faire propre à ce groupe qui lui donnait accès à un poste clair et défini par rapport aux autres. Accrochés à ce métier se trouvait une éthique, des principes. Et puis bien sur il était électricien quelque part, pour le compte d’une entité définie. Il y avait un sentiment d’appartenance fort à l’entreprise, dont les frontières et la place de chacun en son sein étaient clairement définies. Ainsi l’électricien exerçait son métier avec un objectif précis et connaissait sa responsabilité dans la réussite ou l’échec du projet porté par l’entreprise. 
Lors de la dernière phase des Trente Glorieuses s’est opéré un basculement. Le modèle du « métier » a progressivement perdu de sa substance et de ce fait de sa capacité à organiser et rendre cohérente la société (capacité organique). Le passage à un capitalisme actionnarial est la raison principale de ce changement. Il a amené l’externalisation, une demande de flexibilité des salariés, l’individualisation des statuts, la dislocation des groupes de travail etc. Il a rendu flou les frontières de l’entreprise et la place de l’individu en son sein, il a rendu impossible l’identification à un métier précis et à un collectif d’action économique précis. Ceci représente une perte de repères pour l’individu, un déficit d’instrument d’identité sociale. Mais la satisfaction du besoin d’identité reste constante car c’est une condition de la vie sociale, donc ce sont les moyens qui servent à cette satisfaction vont changer. Les individus se tournent vers d’autres systèmes organiques. Ce n’est pas une coïncidence si aujourd’hui on observe un retour en force de la « race », qu’on appelle origine mais qui est toujours ce vieux concept qui dominait le XIXe siècle. Ce n’est pas une coïncidence si des sociologues parlent de « retour du religieux », de « néoconservateurs chrétiens » et de « born-again muslims ». Le débat sur l’identité national ne fait pas débat sur sa période de débat : loin d’être une bonne chose cela était pourtant inévitable que quelqu’un le mette sur la table à ce moment où les repères manquent.
Partout on entend le mot « crise », et elle englobe beaucoup plus qu’une crise économique, c’est une crise morale, et j’irais jusqu’à dire de modèle organique. La société a plusieurs niveaux de systèmes organiques, qui parallèlement contribuent à la cohésion, à donner du sens, à créer de l’identité et à ordonner la société. La question est, à quel niveau la « crise » se trouve-t-elle ?
Allons-nous faire face à un changement d’âge ? L’âge positif, scientifique, d’Auguste Comte, déshumanise les vérités. Auguste Comte voyait en la science le moyen de trouver les vérités de ce monde, au même titre que la théologie avant elle. Mais en réalité la science ne permet que de se rendre compte que la vérité est qu’il n’y a pas de vérités. Le monde est instable et la vérité est contingente. C’est inacceptable pour l’homme, qui a besoin de repères fixes. L’âge positif prône la rationalité, et l’importance des facteurs externes. Il exclue Dieu comme maitre du destin de l’homme et démontre que l’homme n’est pas non plus son propre maitre. Ce faisant, créerait-t-il un déficit de repère et un besoin renforcé d’identité ? Qui suis-je, où va-t-on ?
            Serions-nous simplement dans une phase de rééquilibrage? A un point où un mécanisme d’organisation interne s’épuise, où un cycle se termine et un niveau cycle se prépare avec difficulté ? Ne porterions-nous qu’un projet négatif, une négation de ce qu’on connait avec une absence de projet positif, ce qui empêche le renouveau ? Partout on fait le catalogue des problèmes, des contraintes, toujours extérieures, partout fondées et inévitables. C’est ce qu’on reproche aux hommes politiques d’aujourd’hui, leur manque d’ambition et de projets, le manque de solutions proposées. Je crois que nous sommes à cette étape clé de l’histoire de notre société. Je crois aussi que ce n’est pas synonyme de malheur et de fatalité. Si la société d’aujourd’hui est désorganisée c’est parce qu’elle se réorganise. La crise que nous vivons est le signe que le processus de rééquilibrage est entamé. Notre génération verra, et devra œuvrer pour, l’avènement d’un nouveau système d’organisation sociale. A nous de décider celui que nous voulons.

1 commentaire:

  1. Il y a bien des pistes de réflexions, des ébauches de solutions. Il faut croire en la marche du progrès qui guide l'humanité vers un meilleur avenir.
    L'une de ces réflexions a été donné par Bernard Stiegler (philosophe): il serait temps de redonner aux prolétaires leur savoir-faire (puisque c'est la signification première du mot prolétaire) et aux gens en général leur savoir-vivre...

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