mercredi 18 janvier 2012

La TVA mercantiliste

      "TVA protectionniste et réductrice de pouvoir d'achat" c'est un titre moins accrocheur, mais sûrement plus proche de la réalité.

      L’idée de la TVA sociale est simple. Il s’agit de baisser les cotisations sociales et de remplacer cette perte de financement par l’ajout d’une nouvelle tranche de TVA dont les recettes vont dans les caisses de la sécurité sociale. Les cotisations sociales sont à la fois patronales et salariales. La réforme de la TVA sociale à venir abaisserait soit ces deux formes de cotisations soit seulement les cotisations patronales, selon ce qui est décidé par la majorité. Concernant les cotisations salariales, cette réforme a un impact quasiment nul puisque ce qui est rendu d’un côté sera repris de l’autre. Pour ce qui est des cotisations patronales, leur baisse rend plus faible le coût du travail et permet aux employeurs une marge plus grande sur leur chiffre d’affaire. Cette marge peut être sacrifiée par une baisse des prix ou peut servir à augmenter les salaires et/ou les profits.

       Cette réforme nous est présentée par la majorité comme l’arme anti-délocalisation, clé de la hausse des exportations et de la baisse des importations. Il est vraie cette réforme abaisse les coûts des biens produits en France et augmente le prix de vente des biens importés. Il peut donc y avoir un léger effet de rééquilibrage de la consommation nationale en faveur des produits français. Cette réforme a une utilité potentielle également pour les entreprises exportatrices: pouvoir gagner de la compétitivité-prix et donc des parts de marché par l’abaissement du prix de vente HT des produits. Donc au final la réforme est mercantiliste. C’est un protectionnisme détourné qui cherche à équilibrer la balance commerciale française et à faire contribuer plus les exportations à la croissance française.

      Mais dans la course à la compétitivité-prix sur le marché mondial, les exportateurs comme la Chine ou l’Inde ont des atouts d’une tout autre ampleur. Ne nous trompons pas, pour contrer les bas coûts de la main-d’œuvre chinoise c’est plus qu’une TVA sociale qu’il faut. Abaisser légèrement les cotisations sociales ne sert à rien contre des pays qui n’ont pas de sécurité sociale. Suivre les pays émergents dans une stratégie de compétitivité-prix serait une stupidité que même l’UMP n’envisage pas. Ce n’est donc pas sur les produits chinois que la TVA sociale apportera un avantage compétitif, mais sur des produits provenant de pays où la différence de coûts salariaux est moindre. En fait la TVA sociale est une sorte de dumping social léger envers nos partenaires européens, et encore ceux qui ne sont pas trop à l’Est. C’est utiliser la dernière arme de politique économique qu’il nous reste en tant qu’Etat de l’Union Européenne, la fiscalité, contre nos propres alliés. Je ne serais pas celui qui blâmerait un tel comportement, aux vues de la fiabilité des alliés, si au moins il était rationnel. Mais il faut observer un décalage entre l’efficacité limitée de la réforme sur le commerce extérieur français et son impact négatif indirect sur l’économie française dans son ensemble.

       L’augmentation de la TVA augmente le prix des biens TTC consommés par les ménages. Donc en fait cela revient à baisser le pouvoir d’achat de la grande majorité des Français. Plus les revenus d’un individu sont bas et pire sera la dégradation de sa situation si on raisonne en terme relatif. Car un euro n’a pas la même valeur suivant qu’on soit smicard ou qu’on soit cadre. Et tout le monde paye le même taux de TVA qu’importe son revenu, ce qui, à l’inverse des impôts progressifs, est fondamentalement injuste. Nuançons cette première affirmation en notant que les minima sociaux sont indexés sur l’indice de variation des prix. L’impact sur le pouvoir d’achat des plus démunis doit donc être nul. Par contre tous les salaires supérieurs au SMIC ne sont pas indexés automatiquement, donc la perte de pouvoir d’achat les concerne. « Oui mais si les producteurs baissent les prix HT ou augmentent les salaires cela annule l’augmentation des prix » répliquent les pro-TVA sociale.

      La baisse des prix pour les produits vendus sur le marché national est peu probable. L’exemple récent du secteur de la restauration illustre bien le volontarisme patronal quand il s’agit de faire payer les Français moins cher. Et pourquoi les blâmer ? Il serait stupide de baisser les prix alors que les consommateurs sont habitués à payer un prix élevé qui est devenu la norme. De plus si les patrons soutiennent si activement cette réforme c’est bien qu’ils y ont un intérêt. Quel est-il si la baisse de prix est égale à celle des coûts du travail ? Cela reviendrait au même que si l’on avait conservé l’ancien système puisque les marges seraient similaires. Pour l’augmentation des salaires, je demande à voir ! Si l’augmentation est aussi importante que la baisse des cotisations on retombe sur la même question : où est l’intérêt des patrons à la réforme ? Et il faut regarder quels sont les salariés qui verront leur salaire augmenter. Le terme salarié est si vaste qu’il renferme à la fois le Directeur Général et l’OS.

       L’économiste André Gauron a signalé le problème dans un article pour Alternatives Economiques: « au niveau du smic, les entreprises ne payent déjà plus de cotisations de  sécurité sociale et jusqu’à 1,6 smic, elles sont minorées. Ces mesures bénéficient en priorité aux secteurs à bas salaires, services, grande distribution, cafés- restaurants, BTP. » Ces secteurs sont ceux qui produisent pour l’économie nationale, ils n’exportent que peu. La réforme de la TVA social ne réduit pas les coûts du travail significativement pour ces secteurs, donc ne permet pas une augmentation des marges. Dès lors les entreprises ne peuvent ni baisser les prix, ni augmenter les salaires. Pourtant elles subiront l’augmentation de la TVA comme les autres. Et comme le SMIC est indexé sur la hausse des prix à la consommation, au final ces entreprises pourraient même voir leurs marges se réduire à cause de la hausse des coûts du travail ! Dans cette hypothèse, les salaires ont bien augmenté mais pas leur pouvoir d’achat, et à la fois producteurs et consommateurs sur le marché national sont perdants.

       Ainsi la réforme de la TVA sociale est loin d’être aussi importante qu’on essaye de nous le faire croire. C’est une action à la marge, très contrainte, qui ne va pas beaucoup changer la donne sur le plan du commerce extérieur. Mais sur un plan intérieur, la TVA sociale présente un risque de perte de pouvoir d’achat pour les Français. Ce risque est d’autant plus grand qu’il intervient dans un contexte de consommation atone qui n’arrive ni à tirer la croissance ni à créer une demande anticipée suffisante pour dynamiser l’investissement. Je vous renvoie à l’article « la TVA actionnariale » pour creuser un peu plus la question.

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