jeudi 22 septembre 2011

Diversité...


Paris, Dimanche 19 juin 2011
                Il est 13h30 quand Anthony Jahn entre dans la salle de classe adjacente au bureau de Humanity in Action France. Son intervention dans le cadre d’un programme éducatif sur la diversité en France doit durer 1h30. Il commence par un tour de salle. A chacun il demande ses origines, la nationalité de ses parents et grands-parents. Il note chaque réponse au tableau : Nigérian, Iranien, Argentin, Américain… Quand vient mon tour, je réponds « Français ». Interloqué, il ne note pas et me dit « Tes grands-parents aussi ? ». Je réponds que tous mes arrière grands-parents étaient Français et que donc je suis d’origine française. Il commence alors à se braquer et me dit qu’il a des doutes là-dessus. Je m’évertue à lui dire que c’est pourtant vrai, choqué de sa réticence à me croire. Il ne peut pas avoir de doutes liés à mon apparence physique, je suis châtain, j’ai la peau blanche et les yeux verts.  En réalité c’est simplement que ma réponse lui semble gêner sa démonstration. Il ne note toujours pas « Français » au tableau et me dit « A moins que vous n’ayez eu une particule à votre nom j’en doute fort ! ». Je commence à être offusqué, mais je garde le sens de l’humour, « Justement, on en avait une mais on s’en est débarrassée pendant la Révolution Française pour garder nos têtes. » M. Jahn sourit et marque « Français » au tableau, suivi d’une petite étoile, puis il reprend directement son interrogatoire avec les suivants.
Mon sang bouillonne. Je suis le seul du tableau à avoir une étoile à coté de mon origine. Il a marqué ma différence. Peut-être aurait-il voulu que je l’arbore sur la poitrine ? Pourquoi seulement moi ? Pourquoi n’a-t-il pas demandé à d’autres si ils étaient vraiment Iranien ou Nigérian d’origine ? De toute façon être « vraiment » d’une origine n’a aucun sens ! Cela ne rime absolument à rien de remonter dans le temps aussi loin que possible pour retracer sa soi-disant « vraie » origine. Au fond, il y a bien longtemps, l’humanité était nomade. Puis les guerres et les changements climatiques ont provoqué de grandes migrations. La cristallisation parfaite des peuples sur des aires géographiques précises n’a jamais eu lieu ! Encore (et surtout) aujourd’hui les modifications de contextes économique et géopolitique continuent de faire se mélanger à l’infini le sang des hommes, qui en lui-même ne contient pas l’identité d’une personne. Cette dernière est complexe, personnelle, liée à l’éducation et à la transmission d’une mémoire familiale. Ca M. Jahn l’a oublié, et c’est dommage pour quelqu’un qui travaille pour le Réseau Éducation Sans Frontière.
Ça resterait un évènement anodin si ce genre de réactions, à force de se répéter, ne formataient pas la vision collective de la société. Cette réaction est la marque de la victoire idéologique de la droite UMP & Co, qui a réussi à inscrire le clivage d’origine entre les citoyens. Le fer de lance de ce combat électoraliste est la nouvelle définition de la « diversité ».  Car c’était le but, noble, de M. Jahn de montrer que nous vivions dans une société diverse et que notre origine ne comptait que peu. Mais voilà, lui aussi a intériorisé le fait que si on est Français et blanc, on ne fait pas partie de la diversité, on est pas « issu de la diversité ».  La diversité au sens strict c’est toutes les spécificités de tous les éléments. Au sens UMP-Jahn, c’est tout ce qui ne correspond pas à la norme imposée, « blanc de nationalité française » ou « Français de souche » en langage droite populaire. Juste un mot de plus pour cacher une stigmatisation. On ne pourrait pas alors être divers si on est tous blancs ? Non, la diversité se voit sur la peau. Pour certains, notre vision du monde est plus formatée par la nationalité de nos grands-parents que par l’environnement socio-économique dans lequel nous évoluons. Un ouvrier au chômage et un P-DG du CAC 40 ne forment pas forcément un groupe divers. Par contre un P-DG du CAC 40 et un émir saoudien forment forcément un groupe divers. C’est ici la lutte des races qui est substituée à la lutte des classes. Pratique dans un contexte économique comme le notre…
                Moi, à moins que je ne prouve une origine exotique, on ne me donne pas ma place dans la diversité. Pourtant j’en fais partie, au même titre que tous. C’est une fois qu’acceptation sera faite de cela que le blanc descendra de son piédestal pour se mettre au même niveau que ses frères et concitoyens. Cette expérience m’aura été positive au moins pour une chose : j’ai pu vivre un refus d’identité. Si j’en parle aujourd’hui, trois mois après les faits, c’est que cette expérience est marquante. Se voir imposer une différence, entendre que ce que vous vous sentez être vous ne l’êtes pas vraiment, c’est difficile à vivre. Et impossible à accepter. D’où parfois une certaine révolte chez ceux qui en font l’expérience…

1 commentaire:

  1. Il est au combien difficile d'abandonner ses racines colonialistes!!! On voit bien dans cette anecdote (douloureuse...) que ce qui compte c'est la position, c'est la place d'où l'on parle.
    Ce qui fait une personne, c'est son histoire, sa culture,ce n'est en aucun cas sa race, sa couleur ou autre considération qui place l'autre dans une position non paritaire. Dans ce que vous avez écrit, je ressens que ce monsieur pense qu'on est meilleur si on a des origines "exotiques", ce qui est d'une démagogie étonnante et qui est antinomique avec ce qu'il voudrait prôner! A sa décharge, nul n'est à l'abri de ce positionnement, car nous sortons à peine du colonialisme et nous portons en nous l'histoire de notre pays sans nous en rendre compte... C'est pourquoi la seule solution c'est de penser que nous sommes tous des humains qui essayons de vivre au mieux!

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