mardi 13 décembre 2011

Les lois des Dieux contre la loi des Hommes

                Cet article reprend des informations publiées sur le blog Droites Extrêmes des journalistes Abel Mestre et Caroline Monnot, les citations sont extraites de certains de leurs articles.

La République est une œuvre toujours en construction, et il y a des groupes qui n’auront de cesse d’essayer de déconstruire le travail déjà achevé. Ces derniers mois on observe une montée au créneau des intégristes religieux. Des fanatiques se lèvent contre la démocratie et menacent nos institutions.
            C’est tout d’abord du côté de la mouvance intégriste catholique que le danger provient. De nombreuses manifestations contre des représentations théâtrales ont été organisées. Une série de manifestations a eu lieu devant le théâtre «le 104 » dans le XIXe arrondissement de Paris contre une pièce de Romeo Castellucci "Sur le concept du visage du fils de Dieu ». Les manifestants ont même réussi à interrompre la pièce. La manifestation a terminé en altercation avec les forces de l’ordre, des individus ont été interpelés et la police a saisi des armes blanches et des bombes lacrymogènes sur les manifestants. D’autres manifestations ont eu lieu à Toulouse pour empêcher la représentation de la pièce "Golgota Picnic". Les deux principaux mouvements représentés dans ces manifestations étaient l'Institut Civitas et le Renouveau Français. Le premier rassemble « des catholiques traditionalistes et intégristes proches de l'extrême droite ». Son leader, l’abbé Xavier Beauvais, défini l’objectif du mouvement comme étant " la restauration de la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ". Le Renouveau Français est tout bonnement une ligue, en version 1930, qui promeut des idées pétainistes et réactionnaires. Ils militaient main dans la main contre le « blasphème » et la « christianophobie ». Il n’est pas étonnant que des mouvements si extrêmes se développent et osent attaquer en public la liberté d’expression et la laïcité quand on voit l’attitude des hauts dignitaires de l’Eglise catholique. Ainsi le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d'Etat et numéro deux du Vatican a dénoncé mardi 22 novembre dans une déclaration le "laïcisme intolérant" en "conflit ouvert avec les valeurs chrétiennes traditionnelles". Le message vient donc d’en haut, de cette Eglise qui soutient implicitement ces mouvements. Elle a bien senti la faiblesse actuelle de nos institutions et l’ampleur de la crise sociale, et elle en profite pour entamer sa nouvelle vague d’évangélisation dans l’espoir de reconquérir son pouvoir d’antan. Et c’est chez les jeunes que l’endoctrinement prend place, comme toujours. Les militants du Renouveau Français sont de jeunes gens et c’est sous le slogan "France, jeunesse, chrétienté" qu’ils ont défilé à Paris le 29 octobre.
Il faut noter que ce slogan ne gênait en rien les militants de Forsane Alizza, un « groupuscule islamiste radical » présent à la manifestation pour montrer leur soutien au mouvement. Tous les groupes antirépublicains profitent de la situation de délitement du lien social pour affermir leur prise. Ainsi la radicalisation se voit aussi du côté de l’Islam. Le siège de Charlie Hebdo a été victime d’un incendie criminel dans la nuit du 1er au 2 novembre après que le journal satirique ait publié des caricatures de Mahomet. Des islamistes ont également piraté le site internet de Charlie Hebdo et menacer celui de Libération, qui hébergeait dans ses locaux les journalistes de Charlie Hebdo après l’incendie. Il convient de rappeler que le délit de « blasphème » n’existe pas. Le mot blasphème signifie en grec "parler en mal d'une réalité". Une réalité n’est pas une croyance, la religion est une interprétation du réel. Dénoncer un blasphème c’est imposer sa croyance et sa vision du monde en affirmant que notre interprétation est la vérité. C’est un message d’une violence égale à celle du blasphème, qui nie en bloc la véracité de l’interprétation. Si cette dénonciation est faite dans le cadre de la loi, cela ne pose aucun problème. Mais si c’est le cadre de la loi lui-même qui est remis en question, on ne peut le tolérer.

François Bœspflug, professeur d'histoire des religions à la Faculté de Théologie Catholique de l'Université Marc Bloch de Strasbourg a annoncé « on assiste à un recul du seuil de tolérance. » dans un entretien au Monde. Ce que je lui répondrais c’est que c’est l’inverse. Notre gouvernement n’a que trop toléré. La laïcité a été laissée sur le bas-côté de la route depuis bien longtemps. La preuve étant que nous avons élu en tant que président un homme qui n’y est même pas favorable. Le soi-disant gardien de nos institutions n’a caché son jeu à personne. Pendant sa campagne de 2007 il a multiplié les déclarations empreintes de religiosité. Il a défiguré le principe de laïcité pour le confondre avec le principe de tolérance. Une tolérance qui arrange bien ceux qui ont le pouvoir, car alors on peut tolérer leurs abus. La laïcité doit être intolérante car sinon un groupe arrive toujours à mettre en avant ses croyances par rapport à celle des autres. Et c’est ce qui se passe en ce moment, la « laïcité chrétienne » prospèrent. Il faut remettre les choses à leur place. La République ne reconnait aucun culte nous dit l’article 2 de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905. La laïcité ce n’est pas respecter tous les cultes. Il faut prendre le mot tolérance à son sens originel : tolérer c’est être irrité par la présence de, mais ne rien dire tant que cette présence ne devient pas trop gênante. Il faut circonscrire le culte dans une ligne stricte qui le sépare du pouvoir politique. La Laïcité c’est la négation des institutions religieuses pour affirmer la République comme seule et unique expression légitime du collectif.
C’est la seule solution pour que la paix soit préservée. Pour que chacun puisse jouir pleinement d’une religion comme instrument personnelle d’émancipation et non pâtir d’une religion instrument de tyrannie d’un groupe spécifique. Il suffit d’observer la situation actuelle pour voir qu’on ne peut pas faire autrement. Dès que la République tourne la tête et abaisse sa garde les Eglises reviennent à la charge prêtent à la poignarder. Elle donne un doigt et on lui prend la main. La République doit confiner la religion à la sphère privée pour sauvegarder les intérêts de tous dans la sphère publique. Elle doit s’extirper totalement du carcan théologique pour offrir une loi qui permette à tous de vivre selon le chemin qu’il choisit. Contre ces manifestants qui s’offusquent contre le non-respect de la loi de leur Dieu il faut répondre que cette loi n’existe pas. La seule loi c’est celle du peuple français, celle qu’il s’est librement imposé et pour l’amélioration constante de laquelle il continue d’œuvrer.

Article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.


Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen :
Art. 6. La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.
Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.
Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.



http://droites-extremes.blog.lemonde.fr/2011/10/31/manifs-anti-castellucci-les-choses-se-compliquent-au-cent-quatre/

samedi 3 décembre 2011

Inné ou acquis, la droite ou la gauche.


L’affrontement du mérite individuel et des déterminismes sociaux dans le contrat social.

Mon point de vue sur l’échelle droite-gauche de positionnement politique est qu’elle correspond à une échelle de croyance en la détermination sociale. La grande ligne de fracture entre la droite et la gauche est la croyance ou non à une essence des individus. Se positionner politiquement c’est accorder implicitement plus ou moins d’importance à cette essence qui est l’inné et à l’expérience qui nous forme qui est l’acquis.
La droite est construite sur une base de philosophie chrétienne qui est la croyance en l’âme. Les fidèles croient que quelque chose d’immatériel et d’insaisissable est à la base de notre être et que le reste, notre vie matérielle, n’en est qu’une émanation. L’âme est l’inné. Ainsi les valeurs de la droite mettent en avant la puissance d’action de l’individu et la vertu des efforts. Elles négligent en parallèle le contexte, les facteurs extérieurs à l’individu. La droite se sert des actions individuelles, émanations de l’inné, pour déterminer la nature de cet inné et donc la qualité d’une personne. Celui qui réussit c’est celui qui fait les efforts pour réussir, qui combat l’environnement et arrive à le plier à sa volonté. L’individu ne devient pas, il est déjà. Si l’individu doit réussir il réussira. On comprend alors la logique de la droite actuelle qui consiste à détacher les wagons les plus lourds du train pour faire avancer la locomotive plus vite. Ces personnes qu’on exclue du système sont par nature moins productives, le système n’y est pour rien dans leur déviance. L’égalité est injustifiée, si elle doit subvenir elle doit se cantonner à une égalité des chances. La droite ne s’interroge pas sur les facteurs qui font que certains individus vont faire plus d’efforts que d’autres, le libre-arbitre est total. Cette valorisation de l’innée peut devenir dangereuse quand elle est poussée à l’extrême. La droite extrême tend à négliger les actions comme critère de jugement et se concentre directement sur l’essence en définissant des critères statiques pour juger l’individu à la source. On aboutit alors à des logiques raciales par exemple, qui refuse tout acquis et se basent uniquement sur l’inné.
A l’inverse la gauche n’accorde qu’une place marginale à l’inné et privilégie avant tout l’acquis dans sa vision des choses. La gauche s’intéresse à la structure dans laquelle est inséré l’individu, en d’autres termes les déterminismes sociaux. Ce n’est même pas militer pour l’égalité des chances, car cette dernière est une illusion. L’inné n’existe pas, de ce fait l’acquis dépend seulement des conditions dans lesquels il est acquis. Les actions de l’individu ne comptent que peu, l’important c’est le système. L’extrême-gauche nous fournit une vision laïcisée d’un individu qui n’est rien au départ et devient tout. Cet individu vierge est formaté par les conditions extérieures de son existence qui vont déterminer qui il est et ce qu’il fait. On comprend cette orientation idéologique par les conditions d’émergences de la gauche et ses origines ouvrières. L’ouvrier était l’idéal-type de cet individu formaté par le système. Les ouvriers se sont organisés et ont créé des mouvements qui ont dénoncé le carcan social et ont mis en avant une logique qui rejette complètement l’inné. Elle met en avant des individus indifférenciés qui tous méritent la même chose. Leurs actions n’ont aucune valeur à cause des lourdes déterminations sociales qui pèsent sur eux. Dès lors l’égalité doit être l’égalité de fait, elle passe par le changement intégral du système pour que tous les individus puissent être traité de manière égale.
Quelle part d’importance accorder à l’acquis et à l’inné respectivement ? Cette question est centrale dans toute décision politique, car sa réponse oriente les modalités de l’action qui sera mise en place. Devons-nous faire à l’école des classes de niveau ou devons-nous faire des classes où les plus mauvais côtoient les meilleurs ? Une approche privilégiant l’inné choisit la première option, car ce qui compte c’est de donner les moyens à chaque individu d’épanouir au maximum son potentiel pré-intégré, il ne faut donc pas qu’il soit sous-exploiter dans une classe avec un niveau inférieur à son niveau réel. Une approche privilégiant les déterminants sociaux répond évidemment le contraire. Il faut de la mixité sociale à l’école pour compenser les déterminismes familiaux et pouvoir espérer une plus grande égalité de fait entre les individus. Si les meilleurs sont légèrement pénalisés ce n’est pas grave, de toute façon leur mérite est faussé au même titre que l’échec des moins bons.


Le dilemme de la gauche est le refus du mérite qui s’oppose à sa nécessité. Le refus de croire en une essence de l’individu fait du mérite une variable à définir. Le mérite n’est qu’une convention, il n’a aucune réalité mais les individus veulent et doivent croire en leur inné et à la valeur de leurs actions. Le mérite fait donc figure d’instrument utile pour préserver le contrat social. Le contrat social doit donner à la majorité des citoyens envie d’en faire partie. Les règles du jeu doivent donner envie de jouer. Il faut donc définir un mérite individuel et le valoriser pour amener la majorité dans le contrat social. Mais la définition ne doit pas être trop stricte et la valorisation trop forte, pour ne pas rendre trop grande la proportion de ceux qui à cause des déterminations sociales ne peuvent pas se conformer à cette norme de mérite. Il faut trouver un équilibre entre d’un côté ceux qu’on exclue car ils ne sont pas assez méritants et de l’autre les méritants qu’on pénalise pour combattre les déterminismes sociaux. Il faut trouver une juste mesure dans la prise en compte de l’inné et de l’acquis. Pour le socialisme cette mesure est celle qui divisera le moins possible la société, qui favorisera le plus les minorités en pénalisant le moins la majorité. La ligne à tracer est celle qui inclura le maximum de citoyens dans un ensemble ou l’égalité est la plus vraie possible mais qui permettra au système d’être supportable.
Le problème est que cet équilibre n’existe pas, il reste à construire. Sa définition change en permanence et est pour une bonne part soumise à la subjectivité. Peut-on se permettre de sacrifier 5% de la population trop lourdement déterminés ? Ou doit-on combattre plus en avant les déterminants sociaux pour inclure 99% de la population, même si cela correspond à une contribution très lourde pour la vaste majorité qui se contenterait aisément de règles méritocratiques plus strictes ? Voilà le nerf du socialisme : où définir le moins-pire pour permettre un mieux au plus grand nombre ? C’est la réponse que je fais à ceux qui critiquent le parti socialiste pour ses divisions et ses problèmes de cohérence. Si le parti socialiste a autant de tendances différentes en son sein c’est parce qu’il y a autant de définitions possibles de la juste mesure. Le parti socialiste a fait le choix de la difficulté. C’est un parti sans ligne car c’est un parti du réel, un parti qui ne se base pas sur des absolus mais sur des valeurs et leur articulation avec la réalité. Le socialisme est une œuvre qu’il faut construire et reconstruire perpétuellement.

samedi 5 novembre 2011

Contre Je suis Partout, Ils ne sont nulle part


Sécuritarisme et indifférence dans une France à tendance fascisante.

Notre ministre de l’Intérieur Claude Guéant a décidé de recourir à une nouvelle solution pour lutter contre les trafics de drogue et la criminalité à Saint-Ouen. Il a annoncé que dans cette commune « des habitants volontaires recevront une formation, un uniforme et seront indemnisés lors de leurs vacations impliquant médiation, prévention et surveillance générale ». De plus les habitants pourront appeler un numéro vert pour « signaler anonymement à la police toute chose anormale ». Qu’est-ce que nous avons là ? Ne serait-ce pas ce qu’on nomme communément une milice et une incitation à la délation ? Oh grand non ! C’est une « mobilisation citoyenne » titre l’article de Direct Lyon Plus, journal gratuit que des milliers de Lyonnais lisent chaque jour. Il n’empêche, drôle de coïncidence, les citoyens mettant l’uniforme et rétablissant l’ordre on les trouve sous Vichy, dans l’Allemagne d’Adolf Hitler et dans les communes d’extrême-droite des Pays-Bas actuels. Bizarrement, chaque fois cela entraine des dérives liberticides. Qu’on ne vienne pas me dire que cela n’a rien à voir, que c’est simplement pour une seule commune et dans un contexte bien particulier. Si problème de sécurité il y a, c’est l’Etat et sa force de maintien de l’ordre qui doit agir. C’est l’institution républicaine créée par les représentants du peuple qui doit se charger de cette situation. C’est l’action de la police qui doit se faire plus efficace. Et puis quelle hypocrisie ! Qu’est-ce que l’action d’une poignée de gens entrainés à la va-vite par un policier retraité va changer au trafic de drogue en France ? Si la police et ses forces d’interventions spéciales n’arrivent pas à appréhender les grands trafiquants qui sont à la tête des réseaux, comment Monsieur X pourrait-il y arriver ? Par contre je le reconnais, le nombre de petits revendeurs de rue interpellés va sûrement augmenter. C’est mettre un pansement sur une jambe de bois, une mesure populiste, qui ne peut entrainer que des dérives dangereuses.

Voilà où en est la France du XXIe siècle. Une France prête à accepter un fichage de tous ses habitants pour protéger ses comptes en banque. Le projet de loi sur la nouvelle carte d’identité incorporant deux puces électroniques contenant les données biométriques de l’individu est actuellement examiné en deuxième lecture au Sénat. Une de ces puces contiendrait nos empreintes digitales pour éviter l’usurpation d’identité. J’ai mieux à proposer : mettre la puce sous la peau des gens directement à la naissance ! On est sûr comme cela d’éviter toute fraude ! Et pourquoi ne pas y inclure des données sur les croyances, les orientations sexuelles et les goûts des personnes ? On pourrait ainsi déceler les personnes à potentiel déviant en croisant les données et les enfermer avant-même qu’elles aient commises le crime qu’elles sont inévitablement amenées à commettre ! Et les Français accepteraient sans broncher. Ces acteurs individuels non concertés et incapables de se contextualiser dans un ensemble social plus large se diront pour la majorité « Et alors ? Moi je n’ai rien à me reprocher ! Ce sont les malhonnêtes qui sont menacés ! ». Le rapporteur de la loi au Sénat utilise déjà cet argument en appelant le fichier centralisé de données, que la mise en place des nouvelles cartes d’identité entrainerait, un « fichier des gens honnêtes ».
Ici je ne suis pas en train de critiquer le « pouvoir », le « gouvernement », les « élites », ces entités abstraites à qui on attribue si facilement des caractéristiques humaines et une intentionnalité. Je critique la passivité des citoyens. Je ne dis pas que notre ministre de l’intérieur est vierge de responsabilité dans la dérive fasciste de la France. En effet sa ligne d’action est orientée par des idées qui semblent claires. Je ne dis pas non plus que l’entier gouvernement ou le président ne soit pas dans une stratégie de défense de leurs intérêts propres. Mais ce que je veux rappeler ici c’est surtout un principe de la démocratie, celui du contrôle par le peuple de l’action de ses gouvernants. C’est au peuple de réagir face à de telles mesures, par le vote, par la mobilisation, par tous les moyens disponibles. C’est parce qu’elles sont globalement acceptées ou volontairement ignorées par les citoyens que ces mesures sont envisagées et mises en place. Ce n’est pas une question de couleur de gouvernement, tous les gouvernants ont intérêt à plus de contrôle sur leurs gouvernés et à plus d’autoritarisme, cela rend leur tâche beaucoup plus aisée et répond aux désirs de puissance et de richesse que tous nous avons. « Tous propriétaire », tous tenus en laisse par notre crédit, tous plongé dans la paranoïa de l’avoir, un peuple assagit qui a beaucoup trop à perdre pour protester. Voilà qui arrange aussi bien un Jospin, sous le mandat de qui le projet de carte d’identité à puces a été introduit pour la première fois à l’Assemblée, qu’un Sarkozy. Préoccupés seulement par leur sûreté matérielle, les Français sont aujourd’hui prêts à sacrifier valeurs démocratique et République pour garantir leur petit confort. Nous ne sommes jamais à l’abri de la menace fasciste, les tendances paranoïaque et liberticide de l’homme sont toujours sous-jacentes. Je ne veux pas tenir un discours « tous pourris, tous les mêmes », je veux juste rappeler que l’idéal est dans le « tous vigilants », toujours. Je crois en la force des idées que chaque partie met en avant pour changer la France. Mais je pense qu’il ne faut pas oublier qu’à l’intérieur de tous ces partis on trouve des hommes et des femmes, qui ne sont intrinsèquement ni plus mauvais ni meilleurs que nous-mêmes.

Les mises en garde perpétuelles et les rappels à l’ordre constant n’y font rien. L’histoire nous fournit de nombreux repoussoirs  comme l’URSS ou l’Allemagne nazie. La science-fiction nous alerte régulièrement contre les dérives possibles de nos sociétés, contre les stratégies de terreur des gouvernements pour rester en place, comme celui de la Grande-Bretagne de V comme Vendetta, ou contre les menaces du contrôle total de Big Brother. Mais rien n’y fait, tant qu’il n’est pas trop tard la majorité ne bronche pas, elle augmente son seuil de tolérance jusqu’à tolérer l’intolérable en priant pour qu’elle n’en soit jamais victime. Heureusement que certains ont un minimum de clairvoyance. Le Conseil d’Etat a ainsi annulé l’article 5 du décret du 30 avril 2008, qui instaure le passeport biométrique en droit français, après sa saisine par des citoyens préoccupés par le « fichage étatique généralisé ». La CNIL a mis en garde contre cette nouvelle carte d’identité à puces et la centralisation des données qu’elle entrainerait. Mais ceux qui ce sont soulevés contre ces mesures ne sont qu’une minorité, une poignée de juristes, d’humanistes ou d’anarchistes sensibilisés à ce à quoi ils étaient déjà sensibles. Les autres ont préféré dans Direct Lyon Plus les 15 pages dédiés au football plutôt que les huit pages d’actualité et l’article sur la « mobilisation citoyenne » de 17 lignes en coin de page. L’égoïsme, l’indifférence et la recherche exclusive du confort matériel et de la facilité intellectuelle, voilà le ferment du fascisme. Contre ça nous devons aujourd’hui tous nous lever. N’oublions jamais que celui qui ne dit mot consent, arrêtons de tolérer et commençons à vouloir.

jeudi 27 octobre 2011

Crise morale, crise de cohérence sociale

Durkheim, Auguste Comte et le CAC 40: réflexions et questions sans réponse

Durkheim dans De la Division du Travail Social met en avant le corporatisme comme système de cohésion sociale de la société dont il est le contemporain. La proximité géographique était au cœur de l’ancien modèle de cohésion, mais avec le progrès technique et le « raccourcissement » des distances, ce facteur d’identité a perdu de sa prégnance chez les individus plus dispersés. Selon lui, la société de son époque est structurée par « métiers ». Le « métier » serait alors le repère principal auquel l’individu se rattache, ce qui génère le plus d’identité sociale.  Je crois en la validité de cette analyse et je dirais qu’elle reste pertinente du XIXe jusqu’à la fin des années 1970. Pendant cette période, le « métier » est perçu comme les individus comme l’élément prédominant de leur identité sociale. Son « métier » donnait à l’individu aussi bien une identité individuelle qu’une identité collective, le sentiment d’appartenance à un groupe. Il permettait de se repérer et faisait le lien entre l’individu simple isolé et la société complexe unifiée. Il créait un niveau intermédiaire entre la société dans son ensemble et l’individu dans son activité personnelle limitée dans laquelle il est parfois difficile de discerner le lien social. Ainsi l’électricien était fier d’être électricien, possédait un savoir et un savoir-faire propre à ce groupe qui lui donnait accès à un poste clair et défini par rapport aux autres. Accrochés à ce métier se trouvait une éthique, des principes. Et puis bien sur il était électricien quelque part, pour le compte d’une entité définie. Il y avait un sentiment d’appartenance fort à l’entreprise, dont les frontières et la place de chacun en son sein étaient clairement définies. Ainsi l’électricien exerçait son métier avec un objectif précis et connaissait sa responsabilité dans la réussite ou l’échec du projet porté par l’entreprise. 
Lors de la dernière phase des Trente Glorieuses s’est opéré un basculement. Le modèle du « métier » a progressivement perdu de sa substance et de ce fait de sa capacité à organiser et rendre cohérente la société (capacité organique). Le passage à un capitalisme actionnarial est la raison principale de ce changement. Il a amené l’externalisation, une demande de flexibilité des salariés, l’individualisation des statuts, la dislocation des groupes de travail etc. Il a rendu flou les frontières de l’entreprise et la place de l’individu en son sein, il a rendu impossible l’identification à un métier précis et à un collectif d’action économique précis. Ceci représente une perte de repères pour l’individu, un déficit d’instrument d’identité sociale. Mais la satisfaction du besoin d’identité reste constante car c’est une condition de la vie sociale, donc ce sont les moyens qui servent à cette satisfaction vont changer. Les individus se tournent vers d’autres systèmes organiques. Ce n’est pas une coïncidence si aujourd’hui on observe un retour en force de la « race », qu’on appelle origine mais qui est toujours ce vieux concept qui dominait le XIXe siècle. Ce n’est pas une coïncidence si des sociologues parlent de « retour du religieux », de « néoconservateurs chrétiens » et de « born-again muslims ». Le débat sur l’identité national ne fait pas débat sur sa période de débat : loin d’être une bonne chose cela était pourtant inévitable que quelqu’un le mette sur la table à ce moment où les repères manquent.
Partout on entend le mot « crise », et elle englobe beaucoup plus qu’une crise économique, c’est une crise morale, et j’irais jusqu’à dire de modèle organique. La société a plusieurs niveaux de systèmes organiques, qui parallèlement contribuent à la cohésion, à donner du sens, à créer de l’identité et à ordonner la société. La question est, à quel niveau la « crise » se trouve-t-elle ?
Allons-nous faire face à un changement d’âge ? L’âge positif, scientifique, d’Auguste Comte, déshumanise les vérités. Auguste Comte voyait en la science le moyen de trouver les vérités de ce monde, au même titre que la théologie avant elle. Mais en réalité la science ne permet que de se rendre compte que la vérité est qu’il n’y a pas de vérités. Le monde est instable et la vérité est contingente. C’est inacceptable pour l’homme, qui a besoin de repères fixes. L’âge positif prône la rationalité, et l’importance des facteurs externes. Il exclue Dieu comme maitre du destin de l’homme et démontre que l’homme n’est pas non plus son propre maitre. Ce faisant, créerait-t-il un déficit de repère et un besoin renforcé d’identité ? Qui suis-je, où va-t-on ?
            Serions-nous simplement dans une phase de rééquilibrage? A un point où un mécanisme d’organisation interne s’épuise, où un cycle se termine et un niveau cycle se prépare avec difficulté ? Ne porterions-nous qu’un projet négatif, une négation de ce qu’on connait avec une absence de projet positif, ce qui empêche le renouveau ? Partout on fait le catalogue des problèmes, des contraintes, toujours extérieures, partout fondées et inévitables. C’est ce qu’on reproche aux hommes politiques d’aujourd’hui, leur manque d’ambition et de projets, le manque de solutions proposées. Je crois que nous sommes à cette étape clé de l’histoire de notre société. Je crois aussi que ce n’est pas synonyme de malheur et de fatalité. Si la société d’aujourd’hui est désorganisée c’est parce qu’elle se réorganise. La crise que nous vivons est le signe que le processus de rééquilibrage est entamé. Notre génération verra, et devra œuvrer pour, l’avènement d’un nouveau système d’organisation sociale. A nous de décider celui que nous voulons.

mardi 25 octobre 2011

Réflexion sur l'action politique, son origine, son moteur et sa finalité.


Les enseignements de Maurice Merleau-Ponty.
Toutes les phrases entre guillemets sont des citations de cet auteur, issues de "Note sur Machiavel", "Pour la vérité" et Humanisme et Terreur.

"Un hasard fondamental nous fait tous coupables et tous innocents parce que nous ne savons pas ce que nous faisons."

                L'origine de l'action politique est la réponse aux besoins que nécessite la vie en collectivité. C'est agir pour faire face aux problèmes de la cité, pour répondre à des besoins concrets. L'homme rencontre perpétuellement des problèmes et doit les surmonter, avançant toujours. Ce besoin d'avancer est inhérent à l'homme. Mais nous devons aller quelque part. Pour avancer il faut avoir une direction. Même l'errant choisit, de façon passagère et changeante, la direction de son prochain pas. Et il y a toujours plusieurs directions possibles, car un problème a toujours une pluralité de solutions. Une action politique est toujours le résultat d'un choix.
                Comment éclairer ce choix? Qu'est-ce qui détermine l'autorité politique à privilégier une solution sur une autre? Ce sont des principes d'action. Nous nous attarderons ici sur deux principes d'action politique, l'idéalisme et le réalisme, qui sont étudiés par Merleau-Ponty bien que leur désignation sous ce nom soit une décision personnelle. Ils permettent je pense d'englober de nombreuses idées politiques, de nombreux courants.
L'idéalisme comme principe d'action politique est l'application concrète de valeurs abstraites, d’idées théoriques à long terme. Il a l'avantage de donner une direction claire à l'avancée des hommes. Mais son pendant lorsqu'il est suivi avec trop d'ardeur est d'accorder trop d'importance à la direction vers laquelle on se dirige et de rendre aveugle à ce qui se passe sur la route. L'action politique doit pourtant avant tout répondre aux problèmes concrets, à des contingences, des urgences matérielles. Sa finalité n'est pas du domaine de l'idée mais se trouve bien dans le matériel. L'action politique ne peut être une simple traduction de valeurs aveugles au réel. Merleau-Ponty nous dit "quand on agit c'est bien pour produire des conséquences au dehors et non pas pour faire un geste et soulager sa conscience." L'idéalisme peut même tourner à l'idéologie lorsqu'il se détache trop du réel. Lorsque l'action politique est régit par l'idéologie, elle ne prend pas en compte la réalité, elle ne répond plus à un besoin du peuple mais se plie à un système de sens total dans lequel tout est écrit et où la fin seule compte, qu'importe les moyens, la route empruntée. Le véritable idéalisme politique n'est pas possible car les hommes ont des intérêts privés. Nous sommes tous prêts à sacrifier des valeurs pour des avantages matériels égoïstes. Il faut toujours garder en tête les failles de l’homme.
Le réalisme lui est à l'inverse un principe d'action politique qui se donne comme but de répondre parfaitement aux besoins contingents, sans s'embarrasser d'idéal. Ce dernier  est d'ailleurs rendu superflu par la réponse parfaite à tous les besoins contingents, car la situation se trouve optimale de fait et sans volonté de la rendre optimale à terme. Mais un réalisme trop poussé empêche l'action car échoue à indiquer une direction. Il se base sur les faits pour déterminer l'action. Mais la connaissance des faits n'est toujours que partielle. "Gouverner, comme on dit, c'est prévoir. Or, il y a de l'imprévisible. Voilà la tragédie." Le réalisme juge une action par ses conséquences. Mais les conséquences de nos actes ne sont jamais connues avec exactitude. "Toute action ne nous engage-t-elle pas dans un jeu que nous ne pouvons entièrement contrôler?" Il ya tellement de paramètres qui rentrent en jeu qu'il est impossible d'agir en les prenant tous en compte. Une action politique purement réaliste n'existe pas car le réalisme strict fait rester dans l'étude infinie des faits et des conséquences possibles. Bien souvent, le réalisme n'est qu'un masque. Tout homme a des idées, une grille d'interprétation du monde. Merleau-Ponty a écrit cette phrase qui trouve toute sa justesse aujourd'hui: "Nous ne pouvons pas avoir une politique sceptique, parce que, malgré l'apparence, elle choisit ses fins et opère, d'après des valeurs inavouées, une sélection des faits qu'elle nous propose de reconnaitre et sur lesquels elle nous suggère de nous guider pour définir le "possible"." Par la hiérarchisation des problèmes, leur ordre de traitement, et les conséquences d'un jeu budgétaire qui tend bien souvent à être à somme nul, les valeurs qui motivent l'action politique ressortent derrière la façade du réalisme.

                Mais alors "la condition humaine ne serait-elle pas de telle sorte qu'il n'y ait pas de bonne solution?" Merleau-Ponty se répond en quelque sorte: "Astreints à choisir entre le respect des consciences et l'action, qui s'excluent et cependant s'appellent si ce respect doit être efficace et cette action humaine, notre choix n'est-il pas toujours bon et toujours mauvais?" C'est de cette citation qu'on retire l'essence même de l'action politique et de son but: le moins pire. Prendre une décision politique c'est toujours choisir le moins pire, la solution qui lèsera le moins de monde, celle qui favorisera la plus grosse proportion de la population. Cette solution optimale sans pour autant être bonne, elle ne pourra être trouvée que grâce à une vision équilibrée entre réalisme et idéalisme. Comme d'habitude, la solution n'est ni l'un ni l'autre mais bien les deux. "Une dialectique dont le cours n'est pas entièrement prévisible peut transformer les intentions de l'homme en son contraire, et cependant, il faut prendre parti tout de suite. (...) Cela ne veut pas dire que nous puissions faire n'importe quoi. Mais cela veut dire que, quoi que nous fassions, ce sera dans le risque." "Notre seul recours est dans une lecture du présent aussi complète et aussi fidèle que possible, qui n'en préjuge pas le sens, qui même reconnaisse le chaos et le non-sens là où ils se trouvent, mais qui ne refuse pas de discerner en lui une direction, une idée, là où elles se manifestent". Il faut bien partir des faits, toujours, et y revenir, car c'est eux qui génèrent et guident l'action. C'est en alliant une étude de ces faits et une direction générale qu'on peut arriver à définir un cadre à l'action politique, en classant le réaliste et le non réaliste, le souhaitable et le non-souhaitable, l'acceptable et le non-acceptable. Ce faisant, on définit forcément un idéal. Il ne faut pas se refuser à considérer un idéal qui se trouve dans le non réaliste, mais il faut toujours revenir aux faits et à la réalité humaine pour son application. On relie ainsi les actions dans un tout cohérent. L'action politique équilibrée agit ainsi de façon réaliste et pour répondre à un problème précis, mais le choix se fera dans la limite d'un cadre prédéfini de principes. L'action politique est aussi bien une affaire de principes que de réalité. Elle est obligatoirement contingente car répondant à la contingence de l'existence sociale de l'homme. Elle est obligatoirement guidée par des principes car sinon le choix n'est pas possible.