Un militant socialiste voit des signes annonciateurs de sa
propre déception.
Socialiste, dans le cœur depuis
toujours mais militant depuis peu, j’ai voté François Hollande sans conviction
mais avec l’espoir d’une bonne surprise. Aujourd’hui j’ai peur que cette surprise
n’advienne jamais. Le vieux parti socialiste souffre de sa lourdeur. La machine
bien huilée par ses techniciens a des rouages qui ne sont faits pour tourner que
dans un seul sens. Et ce ne sont pas les dinosaures qui les actionnent qui en feront
varier la marche. Si tout tourne bien rond c’est un siège de velours rouge qui les
attendra. Je constate aujourd’hui que le parti socialiste a entamé, bien malgré
lui, une course pour le pouvoir. Maintenant que le pouvoir est acquis, il faut
le garder et essayer d’en avoir plus. Suivant les leçons de Machiavel et ayant
choisi la méthode du copinage, le nouveau parti majoritaire installe ses pions.
Je déplore qu’il les installe non pas dans une stratégie offensive pour le
changement, mais dans une stratégie défensive pour la stabilité. En 2012 le
parti socialiste n’a pas choisi la gauche plurielle. Il a choisi la gauche tranquille.
Ainsi le parti socialiste met en place des actions pour que le fleuve suive son
cours paisiblement. Il se débarrasse des personnalités potentiellement
gênantes. Il fait des alliances mais seulement si elles permettent d’obtenir
des avantages sans payer aucun coût. Et bien sûr, il ne brusque personne,
surtout pas les grands pontes du parti.
Pour moi l’attitude des
socialistes envers les écologistes est révélatrice. D’abord on met une
socialiste, au ministère de l’énergie et du développement durable. Ce premier choix
de ne pas mettre une écologiste est déjà contestable mais il est guidé par une
volonté de contrôle qui parait légitime pour un ministère si important. Mais
quand on se rend compte que Nicole Bricq est très engagée et prête à lancer une
nouvelle dynamique, c’est la peur qui s’empare des dinosaures du parti. Le
changement oui, mais pas trop. Une réforme du code minier c’est apparemment trop.
Ni une ni deux la machine se met en route et on remplace la militante par une socialiste
débutante, défenseuse de l’environnement le dimanche. Qui plus est on choisit quelqu’un
qui ne connait pas trop les dossiers pour que sa capacité à changer les choses
soit plus réduite. C’est donc le duo socialiste Delphine Batho et Jean-Paul
Chanteguet, qui a grillé l’écologiste Denis Baupin à la présidence de la
commission de l’Assemblée Nationale au développement durable, qui est en charge
de notre transition vers une économie durable et qui devra faire face à la
crise énergétique. On va pouvoir encore attendre longtemps avant la mise en
place d’un grand plan pour la refonte de notre économie et de notre
approvisionnement énergétique ! Et après on se plaint au sein du PS que
les écologistes créent des complications, s’abstiennent à l’élection du
président de l’Assemblée Nationale et fassent figure d’alliés incertains. Mais à
qui la faute ? Si on ne fait rien pour son allié, pourquoi l’allié
ferait-il des efforts pour soi ? A cela certains répondent que compte-tenu
de leurs scores les écologistes n’ont rien à réclamer et devraient déjà être
contents des places que leur laisse le parti socialiste. Mais dire qu’on a le
droit d’écraser le faible parce qu’on est fort ce n’est pas très démocratique.
Le PS opère pour moi un abus de position dominante.
C’est de l’audace qu’il nous faut
aujourd’hui pour un vrai changement. Mais au parti socialiste on écarte les
audacieux et on préfère la tranquillité. Certains disent que c’est « faire
des compromis » pour « rassembler ». Mais pour moi ce n’est pas
un véritable centrisme pour la démocratie, c’est une simple recherche de la
contrainte minimum. Ce n’est pas satisfaire le plus grand nombre, c’est
satisfaire ceux qui ont la possibilité de rendre les choses compliquées à ceux
qui sont déjà installés. La démocratie c’est le partage, le débat, les
désaccords, les choix difficiles, les négociations. Ce n’est pas faire en sorte
que les rouages tournent le plus aisément possible, car à ce moment-là on les
fait tourner dans le vide. C’est faire des efforts pour arriver à achever le
maximum de choses pour tendre vers un idéal politique, quitte à prendre des
risques, à faire trembler les lourds édifices et à faire grincer les dents des
mastodontes. A l’ère du beurre allégé et de l’aspartame je mets en garde contre
un « changement » édulcoré. L’histoire du parti radical et
radical-socialiste fournit au PS une mise en garde. A force d’édulcoration le
parti radical dans la première moitié du siècle dernier a perdu son identité.
De principal parti de gauche il est passé à parti de gouvernement de
centre-gauche pour finir parti du pouvoir à tout prix, gouvernant avec la
droite modérée et ayant voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain en
majorité. La volonté croissante de pouvoir a fait passer le parti radical et
radical-socialiste de fer de lance de l’œuvre républicaine à fossoyeur de la
République. Je voudrais croire que celle des socialistes ne les fera pas devenir
victime du même « mouvement sinistrogyre » (3). Et attention, le jeune
Front de Gauche est prêt à prendre la relève du socialisme d’opposition. Mais
il serait si dommage que le socialisme reste une idée et ne puisse jamais se
mettre en pratique. Je veux croire dans une politique ambitieuse à l’heure où
la France a besoin de dynamisme et de réformes profondes. Je refuse d’accepter
un changement dans la continuité à cause d’un parti qui veut du molletonné. Nous
avons aujourd’hui une chance, nous devons la saisir.
(3)
Albert Thibaudet dans son ouvrage Les idées
politiques de la France (1932) parle
de « sinistrisme immanent de la vie politique
française ». Selon lui les partis sont poussés inexorablement vers la droite par l’émergence
de partis politiques toujours plus à gauche. Ainsi en va-t-il des radicaux,
remplacés par la SFIO, puis de la transformation de la SFIO en parti réformiste
et sa rupture avec la SFIC, puis de la rupture entre communistes de
gouvernement et communistes révolutionnaires.