samedi 3 décembre 2011

Inné ou acquis, la droite ou la gauche.


L’affrontement du mérite individuel et des déterminismes sociaux dans le contrat social.

Mon point de vue sur l’échelle droite-gauche de positionnement politique est qu’elle correspond à une échelle de croyance en la détermination sociale. La grande ligne de fracture entre la droite et la gauche est la croyance ou non à une essence des individus. Se positionner politiquement c’est accorder implicitement plus ou moins d’importance à cette essence qui est l’inné et à l’expérience qui nous forme qui est l’acquis.
La droite est construite sur une base de philosophie chrétienne qui est la croyance en l’âme. Les fidèles croient que quelque chose d’immatériel et d’insaisissable est à la base de notre être et que le reste, notre vie matérielle, n’en est qu’une émanation. L’âme est l’inné. Ainsi les valeurs de la droite mettent en avant la puissance d’action de l’individu et la vertu des efforts. Elles négligent en parallèle le contexte, les facteurs extérieurs à l’individu. La droite se sert des actions individuelles, émanations de l’inné, pour déterminer la nature de cet inné et donc la qualité d’une personne. Celui qui réussit c’est celui qui fait les efforts pour réussir, qui combat l’environnement et arrive à le plier à sa volonté. L’individu ne devient pas, il est déjà. Si l’individu doit réussir il réussira. On comprend alors la logique de la droite actuelle qui consiste à détacher les wagons les plus lourds du train pour faire avancer la locomotive plus vite. Ces personnes qu’on exclue du système sont par nature moins productives, le système n’y est pour rien dans leur déviance. L’égalité est injustifiée, si elle doit subvenir elle doit se cantonner à une égalité des chances. La droite ne s’interroge pas sur les facteurs qui font que certains individus vont faire plus d’efforts que d’autres, le libre-arbitre est total. Cette valorisation de l’innée peut devenir dangereuse quand elle est poussée à l’extrême. La droite extrême tend à négliger les actions comme critère de jugement et se concentre directement sur l’essence en définissant des critères statiques pour juger l’individu à la source. On aboutit alors à des logiques raciales par exemple, qui refuse tout acquis et se basent uniquement sur l’inné.
A l’inverse la gauche n’accorde qu’une place marginale à l’inné et privilégie avant tout l’acquis dans sa vision des choses. La gauche s’intéresse à la structure dans laquelle est inséré l’individu, en d’autres termes les déterminismes sociaux. Ce n’est même pas militer pour l’égalité des chances, car cette dernière est une illusion. L’inné n’existe pas, de ce fait l’acquis dépend seulement des conditions dans lesquels il est acquis. Les actions de l’individu ne comptent que peu, l’important c’est le système. L’extrême-gauche nous fournit une vision laïcisée d’un individu qui n’est rien au départ et devient tout. Cet individu vierge est formaté par les conditions extérieures de son existence qui vont déterminer qui il est et ce qu’il fait. On comprend cette orientation idéologique par les conditions d’émergences de la gauche et ses origines ouvrières. L’ouvrier était l’idéal-type de cet individu formaté par le système. Les ouvriers se sont organisés et ont créé des mouvements qui ont dénoncé le carcan social et ont mis en avant une logique qui rejette complètement l’inné. Elle met en avant des individus indifférenciés qui tous méritent la même chose. Leurs actions n’ont aucune valeur à cause des lourdes déterminations sociales qui pèsent sur eux. Dès lors l’égalité doit être l’égalité de fait, elle passe par le changement intégral du système pour que tous les individus puissent être traité de manière égale.
Quelle part d’importance accorder à l’acquis et à l’inné respectivement ? Cette question est centrale dans toute décision politique, car sa réponse oriente les modalités de l’action qui sera mise en place. Devons-nous faire à l’école des classes de niveau ou devons-nous faire des classes où les plus mauvais côtoient les meilleurs ? Une approche privilégiant l’inné choisit la première option, car ce qui compte c’est de donner les moyens à chaque individu d’épanouir au maximum son potentiel pré-intégré, il ne faut donc pas qu’il soit sous-exploiter dans une classe avec un niveau inférieur à son niveau réel. Une approche privilégiant les déterminants sociaux répond évidemment le contraire. Il faut de la mixité sociale à l’école pour compenser les déterminismes familiaux et pouvoir espérer une plus grande égalité de fait entre les individus. Si les meilleurs sont légèrement pénalisés ce n’est pas grave, de toute façon leur mérite est faussé au même titre que l’échec des moins bons.


Le dilemme de la gauche est le refus du mérite qui s’oppose à sa nécessité. Le refus de croire en une essence de l’individu fait du mérite une variable à définir. Le mérite n’est qu’une convention, il n’a aucune réalité mais les individus veulent et doivent croire en leur inné et à la valeur de leurs actions. Le mérite fait donc figure d’instrument utile pour préserver le contrat social. Le contrat social doit donner à la majorité des citoyens envie d’en faire partie. Les règles du jeu doivent donner envie de jouer. Il faut donc définir un mérite individuel et le valoriser pour amener la majorité dans le contrat social. Mais la définition ne doit pas être trop stricte et la valorisation trop forte, pour ne pas rendre trop grande la proportion de ceux qui à cause des déterminations sociales ne peuvent pas se conformer à cette norme de mérite. Il faut trouver un équilibre entre d’un côté ceux qu’on exclue car ils ne sont pas assez méritants et de l’autre les méritants qu’on pénalise pour combattre les déterminismes sociaux. Il faut trouver une juste mesure dans la prise en compte de l’inné et de l’acquis. Pour le socialisme cette mesure est celle qui divisera le moins possible la société, qui favorisera le plus les minorités en pénalisant le moins la majorité. La ligne à tracer est celle qui inclura le maximum de citoyens dans un ensemble ou l’égalité est la plus vraie possible mais qui permettra au système d’être supportable.
Le problème est que cet équilibre n’existe pas, il reste à construire. Sa définition change en permanence et est pour une bonne part soumise à la subjectivité. Peut-on se permettre de sacrifier 5% de la population trop lourdement déterminés ? Ou doit-on combattre plus en avant les déterminants sociaux pour inclure 99% de la population, même si cela correspond à une contribution très lourde pour la vaste majorité qui se contenterait aisément de règles méritocratiques plus strictes ? Voilà le nerf du socialisme : où définir le moins-pire pour permettre un mieux au plus grand nombre ? C’est la réponse que je fais à ceux qui critiquent le parti socialiste pour ses divisions et ses problèmes de cohérence. Si le parti socialiste a autant de tendances différentes en son sein c’est parce qu’il y a autant de définitions possibles de la juste mesure. Le parti socialiste a fait le choix de la difficulté. C’est un parti sans ligne car c’est un parti du réel, un parti qui ne se base pas sur des absolus mais sur des valeurs et leur articulation avec la réalité. Le socialisme est une œuvre qu’il faut construire et reconstruire perpétuellement.

3 commentaires:

  1. Porte d'entrée intéressante, et très bien argumentée. Mais réduirais-tu la gauche au Socialisme ?
    Si l'inné Nature est opposé à l'acquis Culture, peut-on aussi se poser la question "la Nature est-elle de droite ou de gauche ?".
    Darwin a montré que l'acquis dans ce domaine relève du hasard de type essai/erreur. Comme il est bien difficile de s'affranchir de l'anthropocentrisme quand on parle de nature, et que l'équilibre environnemental actuel et à venir menace notre espèce, je suis impatient de te lire sur l'écologie politique !
    Alain

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  2. Oui je réduis la gauche plus ou moins au socialisme, un socialisme dans ses différentes formes. De sa forme économiste et extrême à sa forme humaniste et modérée.
    Je voudrais préciser que j'ai essayé de décaler de l'opposition nature/culture vers une échelle plus graduée basée sur une croyance plus ou moins forte en une essence des individus. Essence des individus ne veut pas dire nature de l'homme, il peut ne pas y avoir une seule nature de l'homme mais bien une identité intrinsèque de chacun.

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  3. Également, si mon dernier paragraphe se focalise sur le parti socialiste, ce n'est pas parce que je l'associe à la gauche toute entière. C'est parce que c'est le parti qui a accepté le débat permanent. Pour les partis de gauche plus extrêmes le traçage de la ligne est beaucoup plus simple puisqu'ils sont beaucoup plus loin de la vision d'un individu ayant une valeur intrinsèque.

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