mercredi 18 avril 2012

Anders Breivik a gagné

Voilà seulement deux jours que son procès a commencé mais on peut déjà donner le verdict. Anders Breivik a obtenu gain de cause. Tout se sera déroulé selon ses plans. Il sera déclaré coupable et exclu du corps social pour les atrocités qu’il a commises. Mais son procès lui aura permis d’atteindre son objectif. Pourquoi tuer 77 personnes si ce n’est pour faire passer un message ? Anders Breivik s’est auto-proclamé messie et les médias relaient sa bonne parole en retranscrivant massivement son procès. Sa parole fait écho car on l’autorise à résonner. On trouve aujourd’hui sur internet et dans la grande presse des articles détaillés sur son idéologie, qui citent des pages de son livre et qui font même le rapprochement avec toute une mouvance européenne du même type (1). Anders Breivik a imaginé un monde en guerre. Grâce aux médias il vient d’arriver à mettre en scène les belligérants. Je regrette qu’il n’y ait pas plus d’analyses de fond mises en avant pour empêcher l’infection de la psychologie collective par le venin Breivik. Cet article a pour but d'en proposer une.

Ode à la « social-démocratie » et au « marxisme culturel »
 
Breivik et tous les extrémistes de droite en Europe et aux Etats-Unis sont des Don Quichotte. Leur combat est un combat contre le temps, contre l’histoire et contre la réalité. Cette réalité ils la refusent alors même qu’il est absurde de se positionner par rapport à elle. La nécessité de l’avancée de l’homme leur déplait. La réalité neutre du changement démographique et social leur déplait. Alors ils la connotent pour être capable de la dénoncer. Ils plaquent des grilles de lectures caricaturales à la réalité, ils la fantasment, inventent des théories du complot et anthropomorphisent les phénomènes. Ils placent des intentionnalités manichéennes derrière ce qui n’est qu’une musique sans partition ni chef d’orchestre jouée par des musiciens dispersés

L’idéologie de cette nouvelle extrême-droite « anti-djihad » est fondée sur une double erreur. La première est une vision binaire de la société. La seconde est une appréhension de l’histoire en terme de succession d’instants, comme si du statique mis bout à bout pouvait donner du dynamique. Pour Breivik il y a deux forces en présence. D’un côté il y a la civilisation européenne, de l’autre la civilisation arabo-musulmane. Dans cette logique de combat civilisationnel pour la domination culturelle, lorsque qu’une civilisation périclite c’est forcément qu’une autre la fait chuter. Breivik pensent se battre pour le maintien de la culture norvégienne et plus généralement européenne. Dans une logique qui transforme la simple corrélation entre X et Y en causalité, il pense que si l’on restaure la culture européenne dans sa version « pure », celle du moment de son apogée, l’apogée reviendra. Et si on met cette culture à l’abri de tout changement, alors la grandeur sera éternelle. C’est ici qu’on voit la vision complètement faussée de l’Histoire, faite d’instants « t » bien définis. L’Histoire avance, Breivik s’arrête. Il tente de définir la culture et donc la rend immobile. Mais il oublie que l’immobile n’est défini que par l’absence de mouvement. Dans l’Histoire il n’y a pas d’absence de mouvement, le raisonnement échoue. Jamais il n’y a eu un instant de l’apogée, l’instant n’est qu’un concept pas une réalité, il y a seulement eu des mouvements.

La réalité est peut être celle d’un déclin. Mais ce déclin n’est pas culturel. Il est économique et démographique tout au plus. Il est surtout géographiquement localisé, voilà pourquoi il fait mal. La réalité est celle du vieillissement de l’Europe. Elle est celle de l’essoufflement d’un modèle économique et d’un rayonnement local. Mais il n’y a pas d’histoire figée ni de culture définie, comme il n’y a pas d’acteurs conscients réunis en camps appelés « civilisations ». On ne peut décrire le phénomène d’avancée civilisationnelle en lui plaquant des frontières matérielles et temporelles. Une culture jamais ne sombre dans la décadence et jamais ne disparait. Tout simplement parce qu’une culture à aucun moment et aucun lieu n’existe. Elle est, elle se fait. Toujours, de tous temps, et directement ou indirectement avec tout le monde. Si certains traits s’effacent au profit d’autres c’est au contraire un signe de grandeur. Pour que l’Europe aille de l’avant, elle doit accepter de marcher. L’homme toujours avance, il s’adapte, il doit changer en permanence. L’Europe se renouvèlera en profitant du dynamisme du changement, des apports culturels, intellectuels et humains qu’elle reçoit de l’extérieur. La culture, comme l’artiste, est dans un processus de création permanente mais aussi d’inspiration permanente. Elle s’inspire de tout ce qui l’entoure, se fait au contact des autres, fusionne, élimine, transpose et modifie.

Ces extrémistes sont obsédés par la peur de la disparition. Ils parlent de la disparition d’une culture qu’ils ont idéalisées, une culture intemporelle, « pure », figée, qui renferment les « vraies » valeurs, la vérité. Cette culture disparaitra sous l’hégémonie nouvelle d’une culture conquérante. Ils veulent montrer la force de résistance de la culture menacée en partant en guerre contre le conquérant. Mais ce que leur action révèle est en fait un profond manque de confiance. Ils sous-estiment profondément la puissance de la culture comme ils saisissent mal l’ampleur de la dimension culturelle.

Cela fait plus de mille ans que l’Europe est entièrement chrétienne. Pour autant jamais vous n’irez me dire que la culture française et la culture italienne sont des purs équivalents. Quand on associe les Québécois aux Français les seconds tiquent, alors que les premiers en ont fait des efforts pour maintenir leur culture d’origine intacte. Il faut le reconnaitre, les multiples influencent et les différences de parcours ont fait diverger leurs cultures. Qui irait se plaindre en disant que la France devrait être plus Québécoise car c’est le Québec qui est le plus proche de la vraie culture française ? Ou l’inverse ? Ces exemples montrent la force de résistance et d’adaptation d’un système culturel. Quand bien même la France serait peuplée dans cent ans de 90% de musulmans, la culture française d’hier se montrera encore bien vivace.

Comme la culture nord-africaine a été réduite médiatiquement à l’Islam, nous voyons la conquête culturelle comme la recrudescence de musulmans. Les convertis à l’Islam sont surmédiatisés. Il faut ici faire tout d’abord attention à l’ampleur réelle du phénomène, souvent bien inférieure à la légende. Ensuite il faut bien voir que les musulmans de France ne peuvent pas se voir priver de leur qualificatif « de France » sous peine de perdre une partie de leur identité culturelle. Je ne parle pas ici « d’intégration », mythe notoire. Je parle « d’influence culturelle malencontreuse ». Je parle des apprentis boulangers arabes et des musulmans qui font des crédits pour acheter leur maison. Plus que cela, je parle des traits de personnalités qui s’installent et font qu’un Français musulmans réagit plus comme un Français catholique que comme un Marocain musulman. Je parle de références communes. On ne peut pas vivre dans un pays pendant 3 générations et conserver intacte la culture du pays d’origine des grands-parents. Une culture est un système dans lequel les individus sont immergés et qui les influence. La raison en est qu’une culture est la conséquence de la mise en système des individus. Quand on ajoute des individus dans le système, ils modifient la culture certes, mais ils sont également influencés par elle. Croire que le système peut renouveler entièrement sa structure sur une échelle de temps courte c’est avoir un manque de confiance chronique dans l’édifice qui nous surplombe, dans la symbiose (2) que nous formons avec les individus qui nous entourent et les individus qui nous ont précédés.

S’ils pensent se battre pour éviter que la grandeur passée ne soit foulée au pied par un vil présent, c’est bien l’inverse que les Anders Breivik d’Occident font. L’extrême-droite « anti-jihad », xénophobe et conservatrice, dans son aveuglement administre du poison à celui qu’elle veut « sauver ». La société, comme les individus qui la composent, doit accepter le changement pour pouvoir grandir. C’est en figeant la culture et la société que l’extrême-droite l’entrainera vers son déclin. C’est en voulant empêcher le processus civilisationnel d’advenir qu’elle détruira la civilisation.

Anders Breivik a gagné. Maintenant à nous de faire en sorte que jamais la « social-démocratie » et le « marxisme culturelle » ne soient vaincus.



(2)    Définition Larousse : « Association constante, obligatoire et spécifique entre deux organismes ne pouvant vivre l'un sans l'autre, chacun d'eux tirant un bénéfice de cette association. »