mercredi 22 février 2012

Le faux débat sur la propriété intellectuelle

De la fermeture de Megavideo aux lois Hadopi, en ce moment la question de la diffusion sur internet des œuvres culturelles fait débat. Ce débat est présenté par les grands médias comme un débat entre les partisans de la défense de lois légitimes et les critiques de lois portant atteinte de façon trop prononcée à la liberté. Nos gouvernants nous le présentent même comme un combat du légal contre l’illégal, comme une bataille pour sauver des principes qui ont été au cœur de notre développement. Ce débat est en fait un faux débat. Il masque des questions essentielles à propos des gagnants  et des perdants des législations nouvelles et une question encore plus profonde qui est celle de la monétisation de la culture et de son asservissement au marché.

Pour répondre à la première question il faut se tourner vers l’économie. Les gouvernants nous assènent que le marché de l’industrie culturelle répond au besoin de consommer des biens iconographiques, filmographiques et musicaux. Ils nous disent que le marché permet leur création en donnant aux créateurs les moyens de vivre et de créer. Ils nous disent que s’il n’y a pas de demande marchande d’œuvres, il n’y aura pas de production car personne n’aura intérêt à produire. Ce premier postulat est complètement faux. Un raisonnement économique standard dans ce domaine ne fonctionne pas. La preuve par la multitude de peintres qui sont morts dans la misère, dans leur petit appartement surencombré par des toiles. Pour autant, ont-ils renoncé à créer ? Personne n’aimait leur style, il n’y avait aucune demande, et pourtant ils se sont lancés. Et c’est seulement après leur mort que la demande est née et que leurs toiles se sont arrachées à prix d’or. La création artistique et culturelle ne dépend pas d’un quelconque marché, c’est un fait social, c’est un besoin irrépressible de l’homme, celui de s’exprimer. Un autre de ces besoins est le partage. Voilà le vrai besoin auquel répond le marché des œuvres culturelles. Au besoin de partager nos créations, nos découvertes et nos goûts. Le vrai marché des œuvres culturelles est celui de la distribution, la mise à disposition de moyens et de réseaux pour produire, reproduire et donner accès. Les grands labels, les maisons de production, les EMI et autres Universal, mais aussi les grands magasins de musique et de films comme la Fnac ou Virgin Mégastore, leur véritable rôle se trouve dans la mise à disposition de l’offre pour la demande. Les producteurs fournissent le capital pour reproduire en grande quantité la création, les distributeurs utilisent leurs réseaux pour faire connaitre. C’est pour ce service que nous payons.
Oui mais voilà, internet rend cette prestation presque superflue. Internet baisse les coûts de diffusion au maximum et permet à chacun de se donner accès aux œuvres. Le service de diffusion est devenu quasi-gratuit, son ancien circuit marchand devient donc obsolète. Mais la technologie abaisse également les coûts de production de façon vertigineuse. Aujourd’hui, reproduire des œuvres culturelles est devenu possible pour un coût plus bas que jamais. Les jeunes artistes musicaux nous le prouvent, en enregistrant des chansons chez eux avec un simple ordinateur ou à l’aide de studios miniatures qui sont capables de donner des qualités de sons exceptionnelles, et en diffusant leurs œuvres gratuitement sur internet. De simples particuliers créent des chansons à domicile ou travaillent sur des films d’animation chez eux depuis leur ordinateur et les postent sur Youtube ou permettent un téléchargement gratuit. S’ils font le « buzz » c’est une vraie carrière qui les attend à la clé.

Cette carrière, il est fort probable que la mort du copyright lui fasse de l’ombre et la rende moins glorieuse. En effet les recettes sur les ventes de disques et de DVD vont chuter. Mais « qui » vend des DVD ? Qui tire la plus grosse part de ses recettes de sa vente de CD ? Ce ne sont pas les petits groupes ni les petits réalisateurs, cette myriade de petits créateurs. Ce sont ceux qui les cachent et les écrasent, ce sont les Madonna et les Steven Spielberg, ceux qui sont déjà connus. Et ils permettent aux grandes entreprises de s’en mettre plein les poches au passage. Pour les autres, leurs recettes proviennent surtout d’autres sources. Et celles là, malgré tout le tapage  fait, ne sont pas prêtes de disparaitre. La fréquentation dans les salles de cinéma a augmenté ces dernières années en France. Elle est encore en hausse en 2011 par rapport à 2010, avec plus de 210 millions d’entrées, ce qui approche l’ancien record de 1967 qui était de 211 millions d’entrées, à une époque où ne serait-ce que la copie de cassettes vidéo était un fait rarissime. La France regorge de festivals musicaux et les artistes remplissent les salles. Les amateurs de musique classique ne sont pas prêts à déserter la salle Pleyel pour rester écouter leur musique chez eux. Les amateurs de rock refusent à rester chez eux regarder un DVD live piraté plutôt que d’aller dans la fosse. Les amateurs de Rap savent combien un concert est une performance unique qui n’a rien de comparable aux albums enregistrés.
La carrière et le succès ne sont qu’un objectif secondaire. Des gens créent tous les jours et font profiter. C’est leur seule ambition. Le guitariste amateur qui poste sa composition sur Youtube est persuadé qu’il ne deviendra jamais millionnaire. Pour autant il compose. Et qui sait ce qu’il adviendra de lui ? Ceci répond partiellement à notre deuxième question. La diffusion par internet c’est la mort du copyright, oui. Mais c’est aussi l’avènement d’une vraie démocratie dans le domaine de l’industrie culturelle, où celui qui a du talent fait le buzz et où celui qui n’en a pas reste dans l’ombre, où la production est rapide et fluide, où les succès s’enchainent et où personne n’a le monopole et ne peut s’enrichir dans des proportions honteuses grâce à lui. A l’heure où la critique du « tout marchand » est partout, la technologie nous offre une alternative. Un nouveau modèle dans lequel n’aura un prix que ce qui doit en avoir un et où la création et le partage se passent de monétisation. Le culturel doit reprendre sa place dans son domaine et le lien social qui peut se passer d’un marché qui le distord doit le faire.

SOPA, PIPA, Hadopi, et toutes les autres législations visant à défendre les droits d’auteurs contre le partage sur internet sous toutes ses formes sont des tentatives de garder la culture sous le contrôle du marché. Et ce dans l’intérêt des grandes entreprises de l’industrie culturelle, qui profitent de leur position pour engranger des profits. Ces législations sont conservatrices, elles défendent un système obsolète contre celui qui attend déjà pour le remplacer. Elles éludent complètement les aspects positifs de l’évolution, dans l’intérêt de ceux qui ont une place dominante dans le système établi. L’intérêt du gagnant n’est jamais de rebattre les cartes et de commencer une nouvelle partie. Aujourd’hui il est temps de faire une nouvelle donne, tant pis pour ceux qui courent le risque de perdre. De toute façon ils ont déjà assez gagné !

mercredi 8 février 2012

Soutien à Serge Letchimy


Aujourd’hui ce n’est pas l’UMP et ses stratégies populistes d’attisement de la haine parmi les peuples que j’accuse. Je ne veux pas être redondant et parler de la stigmatisation persistante d’une partie des Français. Je ne vais pas dans cet article condamner Claude Guéant, ses paroles font tellement abstraction de la réalité et leur objectif est si clair qu’il parait inutile de faire une démonstration de leur caractère infondée. Ce mercredi 8 février l’intolérable a été commis par ceux qui étaient censés faire barrière contre lui. Aujourd’hui la honte tombe sur les socialistes.

Après l’intervention hier soir de Serge Letchimy à l’Assemblée Nationale, Libération a écrit dans son numéro du 8 février 2012 que « les responsables socialistes ont, de leur côté, plaidé les circonstances atténuantes pour le député Letchimy ». François Hollande pour sa part a qualifié l’intervention du député martiniquais d’ « incident ». Ce vocabulaire du délit et de l’accident est totalement en décalage par rapport aux paroles de Serge Letchimy. Ce dernier n’a rien à se reprocher. Bien au contraire il a fait son devoir. Il a fait son devoir de mise en garde contre le populisme facile et les raccourcis dangereux. Il a fait son devoir de rappel de l’Histoire. Cette Histoire qui n’est ni blanche ni noire mais bien grise. L’Histoire qui contient bien les camps de concentration et le « long chapelet esclavagiste et colonial ».
C’est un malheur que M. Letchimy ait eu à réagir seul face aux propos de Claude Guéant. C’est inadmissible que la gauche n’ait pas fait bloc autour de lui pour le soutenir et porter haut ses paroles dont la justesse n’a d’égal que l’indignation qu’elle provoque. Oui le député a employé de graves mots, mais parce que ce grave moment de l’histoire qu’a constitué le nazisme a débuté par une accumulation de propos anodins qui ont créé un climat de nationalisme poussé et de haine de l’autre. Oui il a accusé directement M. Guéant, mais peut-être que si des hommes comme lui s’étaient levé pour dénoncer les populistes qui excitaient les foules et les confortaient dans leurs préjugés dans les années 1930 le nazisme ne serait pas advenu. Pourtant chez les socialistes c’est le vide total, il y a une gêne, on cherche à « atténuer ». Letchimy le trouble-fait dérange.

Serait-ce parce qu’aujourd’hui le nazisme est devenu un tabou ? Plutôt qu’un avertissement de l’histoire il est devenu une période qu’on veut montrer comme un écart de conduite malencontreux. Le nazisme est l’objet d’un non-dit grandissant qui cache son caractère banal, sa place logique dans l’histoire de l’Europe et les circonstances pas si étranges de son avènement. Et ce tabou arrange bien la droite et l’extrême-droite, qui peuvent faire passer la gauche comme un ramassis de paranoïaques figés dans le passé. Ils peuvent dès lors prononcés des paroles porteuses de haine sans que personnes ne fassent le lien avec le chômage de masse, l’activité économique en berne, la crise morale et la peur généralisée du déclassement. L’inquiétude est partout mais personne ne s’en inquiète. Pourtant l’idéologie nazie ne s’est pas construite et diffusée en un jour, et c’est bien à partir de postulats du genre de ceux de Claude Guéant que cela s’est fait. L’idéologie nazie est celle d’un idéal de société parfaite qui transforme en qualités ses côtés les plus sombres. C’est une idéologie historicisée, qui se sert de l’enracinement dans l’Histoire comme justification pour faire advenir un futur défini au préalable. Le concept de civilisation est donc en son cœur. Le géo-politiste Karl Haushofer, proche des nazis et dont les écrits ont inspiré la politique impérialiste et guerrière d’Adolf Hitler, a d’ailleurs définit dans ses travaux quatre civilisations, la paneuropéenne, la panrusse, la pan-asiatique et la panaméricaine. Claude Guéant lui n’en a mentionné que deux. François Lenglet a peut-être raison, « la crise des années 30 est devant nous ».
Ou alors serait-ce que les sondages sont plus forts que l’Histoire ? Quand un cinquième du pays apprécie Marine Le Pen, que la moitié est eurosceptique et que les deux-tiers sont protectionnistes, le fascisme redevient mainstream. « Taisez-vous députés socialistes sinon vous allez perdre de la popularité » chuchote  TNS-SOFRES. « N’allez pas défendre une poignée de noirs qui ne votent qu’à moitié, vous risqueriez de le regretter » renchérit l’IPSOS. Faut-il laisser advenir le pire au nom de la démocratie directe ? Faut-il renier les principes qui ont fait la France pour quelques voix de plus ? Il y a ici un devoir civique qui n’est pas rempli. Il y a ici un manque de prise de position et une déliquescence des valeurs de la gauche pour cause d’électoralisme.

 M. Letchimy lui n’a pas oublié sur quelle idéologie repose le nazisme. Il n’est pas non plus prêt à ensevelir le passé sous un grand tas d’immédiat. Et pour cela je lui dis merci.