vendredi 30 mars 2012

Faire partie du décor


On ne les voit jamais. Ils sont les grands absents de l’espace public. On ne sait qui ils sont que par discours interposés, eux ne parlent pas. De toute façon au fond, personne ne leur porte vraiment d’intérêt. Quand ils ne sont pas instrumentalisés, on essaye de les oublier. Pourtant ils sont là, toujours et encore. Ils sont là, et plus nombreux que jamais : les chômeurs.

Entre 1984 et 2010 le taux de chômage n’est tombé que trois années en dessous de la barre des 8%. Sur ces vingt-huit années le taux de chômage moyen a été de 9%. Ce seuil est devenu une norme. On s’en est accommodé. Quand je dis « on » il faut entendre « ceux que ça ne concerne pas », la France du travail protégé, des étudiants et des rentiers. C’est aussi ça l’histoire de la démocratie, le doux désintérêt pour les problèmes des minorités qui se fait violent dans le majoritarisme.

Quand le chômage est trop visible, on prie pour ne pas être concernés et on déverse notre peur du déclassement et notre malaise social sur des boucs émissaires. Le reste du temps on essaye de se convaincre que tout cela n’est pas réel, on fait des pirouettes et on contourne le problème.
-Le chômage continue d’augmenter ? Oui mais la situation s’améliore puisqu’il y a « une baisse tendancielle de l'augmentation du nombre de chômeurs" (8) nous dit notre président !
- Entre 2008 et 2010 la France a perdu 337000 emplois industriels tous secteurs confondus ? Oui, mais c’est le pays qui a le mieux résister à la crise et « qui, depuis 2007, a connu chaque année une augmentation du pouvoir d'achat des Français »  renchérit  N. Sarkozy sans gêne (2).
-Le chômage est un problème structurel ? Ça c’est parce que le système social Français est trop généreux et que les Français sont devenu des paresseux vivants de l’assistanat !
1 818 000 allocataires du RSA (1)(6), une sacré tripotée de feignants ! Il est évident que toutes ces personnes se contentent amplement de ces chèques mensuels bien gras de 474€ et n’ont aucune envie d’augmenter leur revenu par le travail !
 
Est-ce une réponse valable à donner aux 9.3% de chômeurs Français (4), à ces 9.8% de femmes et ces 21.6% de jeunes inscrits en catégorie A à Pôle Emploi ? Et à ces 1.5 millions de personnes en situation de sous-emploi (3)(5), qui voudraient travailler plus mais qui sont obligées d’accepter un temps partiel ? Peut-on toujours maintenir que si ils le voulaient, ils pourraient tous trouver du travail quand ils sont 4 537 800 à être inscrits à Pôle Emploi en catégorie A, B et C ? Même si on évite de leur dire directement, on leur fait comprendre en leur retirant du soutien et en limitant le nombre de conseillers jusqu’à ce qu’il n’y en ai plus qu’un pour une voire deux centaines de chômeurs. Et on arrive à une situation où le Conseil Economique et Social note dans un de ses rapports sur Pôle Emploi « une réelle souffrance au travail, un malaise lié à la difficulté de remplir [leurs] missions de service public et une perte de sens du travail ».

Mais qu’ils ne viennent pas dire que rien n’est fait pour eux ! Les réformes s’enchainent.
-D’abord l’auto-entreprenariat, symbole de la libération du joug bureaucratique pour ceux qui veulent se lancer à leur compte. Les chômeurs ont essayé d’exploiter cette nouvelle opportunité pour rejoindre la société des travailleurs: un million d’auto-entreprises ont été créées depuis 2009. Cela doit sûrement être quand même de leur faute si  40% restent sans activité et les 60% restantes ne font qu’un chiffre d’affaire moyen de moins de 1000 euros par mois (1)(3).
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Ensuite ce fut la réforme des retraites. Puisqu’on vieillit, il faut travailler plus longtemps ! La réforme fut présentée avec « un discours tout empreint de la simplicité et de la transparence du bon sens » (7). Hélas le raisonnement « toute chose égale par ailleurs » a encore une fois montré ses limites. Pour travailler plus il faut d’abord travailler. Et les statistiques nous montrent que les seniors sont de plus en plus victimes du chômage et qu’on a beau reculer l’âge de la retraite, ils partent toujours aussi tôt et peinent toujours autant à trouver du travail. En février les plus de 50 ans au chômage étaient 1,3 % de plus qu'en janvier et sur un an ils étaient 14,6 % de plus en catégorie A, B et C (8).
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Et maintenant voici la nouvelle solution miracle de la majorité, annoncée par son candidat à l’élection présidentielle : « Passé un délai de quelques mois, toute personne au chômage sans perspective sérieuse de reprise d’emploi devra choisir une formation qualifiante. A l’issue de cette formation, qui sera obligatoire, le chômeur sera tenu d’accepter la première offre d’emploi correspondant au métier pour lequel il aura été nouvellement formé. » Avec 1 757 900 chômeurs de plus de un an en catégorie A, B et C ça va faire un sacré paquet de formations à payer ! Sans compter que ce nombre ne cesse d’augmenter : 0,8 % en un mois entre janvier et février 2012.


Les chômeurs sont bien là, ils ont un goût amer dans la bouche et perdent foi dans le contrat social de la République. Arrêtons les réformes idéologiques et les tentatives d’esquive du problème et commençons à vraiment s’atteler à la question de l’emploi en France. A ce titre on peut noter les 7 propositions pour l’emploi du club Convictions. Ce think-tank propose d’arrêter de focaliser le débat de l’emploi sur le niveau du SMIC, de mettre fin aux incitations aux CDD, de former les chômeurs sur la durée ainsi que d’autres mesures plus techniques mais tout aussi intéressantes. La limite du rapport est l’échec de sortie du carcan de prénotions qui pollue le débat sur l’emploi. Nous n’arrivons pas à produire un discours vraiment critique sur le problème du chômage car nous restons pris au piège de la grille de sens dominante et des « di-visions » (7) préétablies. Il faut aller plonger dans l’histoire, dans les modèles économiques passés, pour se rendre compte à nouveau d’une chose : le chômage est un choix de société. Une fois cet élément réintroduit, nous arriverons à produire un modèle pour demain. Ou alors nous resterons dans la situation actuelle, mais nous pourrons arrêter d’en traiter de façon hypocrite !


(1)    Alternatives Economiques, mars 2012
(3)    Chiffres publiés par l’INSEE en février 2012 
(4)    troisième trimestre 2011
(5)    chiffre de 2010
(6)    métropole au 30 septembre 2011
(7)    Pierre Bourdieu; Ce que parler veut dire (chapitre 4); Fayard 1982

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