samedi 31 mars 2012

"Musulmans d'apparence"


Donner des critères physiques pour définir l’appartenance cultuelle d’une personne. Voilà ce que Nicolas Sarkozy, le président français d’origine hongroise (1) a fait le Lundi 26 mars sur France Info (1). Pas la peine d’en faire toute une polémique vous diront certains, « tout le monde le fait ». Cet argument n’est pas recevable, mais hélas il est fondé. Cette confusion permanente entre la spiritualité et le sang, entre la religion et la race remplie nos programmes d’Histoire. Ainsi pour l’Algérie française les manuels nous disent qu’il y avait d’une part les Européens et de l’autre les musulmans. La confusion remplit aussi nos discussions quotidiennes : « il est d’origine musulmane », « il est d’origine hindou », « je suis né musulman » etc. Il faut pourtant la refuser car elle mène droit au pire. Les confusions nous précipitent dans le gouffre de « l’essentialisme » (2). Le discours qui fait du musulman un être défini objectivement par des caractéristiques physiques cherche à réduire l’individu à une seule facette d’une identité imposée. On veut lui donner une essence, le qualifier dans une « pureté » ultime comme on le fait pour les éléments chimiques

Il y a là un double mouvement. Tout d’abord on cherche à ôter à la personne toutes ses spécificités et la multiplicité de ses appartenances pour la ranger dans une case précise. Ce mouvement peut aller très loin puisqu’on peut aller jusqu’à enlever à la personne son caractère d’être humain, pour vraiment limiter son appartenance à son groupe religieux. Ensuite on refuse la qualité d’individu libre à la personne en lui imposant une étiquette objective, c’est-à-dire qui va chercher ses fondements à l’extérieur de la personne. Dès lors elle n’est plus maîtresse de qui elle est, elle est condamnée à être ce qu’il est dit qu’elle est aux yeux de ceux qui reconnaissent comme légitime celui qui a « dit ».

C’est ici où l’on peut voir que le discours de M. Sarkozy est très grave. M. Sarkozy est, compte-tenu de la fonction qu’il occupe, le détenteur de la parole légitime. Il a été reconnu par la nation comme possédant l’autorité. Il a donc ici créé une définition légitime du « musulman ». Il n’appartient plus aux musulmans de se définir, le président leur a volé leur individualité. On n’est plus ici dans la stigmatisation, mais dans le niveau supérieur, la classification. Le côté encore plus pervers de la chose est que pour dégager une classification objective on a utilisé la subjectivité. En effet cette classification n’a pas été faite à partir d’éléments objectifs observables, de critères physiques précis. Non, elle a été faite à partir de la généralisation d’un exemple particulier. Cet exemple est le stéréotype du musulman arabe, à l’image de Mohamed Mehra. Ainsi le Pakistanais qui prie cinq fois par jour est trop foncé pour être musulman. Une Malaisienne voilée ne peut pas être musulmane puisqu’elle a les yeux bridées. A l’inverse le caporal Abel Chenouf ne pouvait pas être catholique puisqu’il était arabe. Nicolas Sarkozy vient d’asservir la spiritualité aux critères physiques.

La dernière fois que cela a été fait en France ce fut sous le régime de Vichy. Celui qui avait trois grands-parents juifs avait été défini comme étant juif. Et on l’avait essentialisé, on lui avait retiré tous ses attributs de personne et son humanité pour n’en faire plus qu’une marchandise qu’on confiait à la SNCF pour qu’elle l’envoie à l’Est. L’idéologie nazie avait aussi utilisé des critères physiques pour définir le juif.

En reprenant les termes de Philippe Corcuff, j’appelle à arrêter cette quête de substances à mettre derrière les substantifs. J’appelle également tous ceux qui trouvent intolérable la vague d’islamophobie et de haine généralisée à l’égard des arabes à demander une excuse publique du Président de la République qui vient de ternir l’image de la France en la faisant régresser jusqu’à des moments sombres de son histoire.


(1)    Je salue ici l’initiative des médias algériens qui ont voulu rendre justice en utilisant la formule rhétorique préférée de M. Sarkozy pour le qualifier lui-même
(3)    Voire les travaux de Philippe Corcuff et la définition qu’il en a donné dans la conférence « B.a.-ba philosophique de la politique à l'usage de ceux qui ne sont ni énarques, ni patrons, ni journalistes » du 29 mars 2011 à l’IEP de Lyon

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